Au nord, la grande faille qui traverse le massif du Sidobre d’est en ouest abrite l’Agout, le « Fluvi » des romains a taillé son chemin à travers rocs et gorges.
L’échancrure en V, majestueuse, s’ouvre sur l’Agout et les sommets environnants.
Deux cent mètres de dénivelé (de 460 m au pont de Record à 691m à La Mongarié).
Pour admirer cette vallée, il faudrait idéalement monter de Pébiau vers Peyremourou car depuis la route Ferrière-Vabre (D55) un rideau d’arbres masque la vue.
Je pars ce matin à la re-découverte du secteur de La Mongarié, hameau perché sur le bord nord-est du Sidobre, rive gauche de l’Agout.
Ici, les champs sont encore entretenus, un tracteur girobroit en slalomant entre les boules de granit.
La rondeur des rocs posés au hasard sur le pré amène naturellement un sentiment de paix et de douceur à ce vieux terroir. Les maisons aux toits d’ardoises et aux murs faits de blocs de tailles laissent entrevoir la rigueur du climat.
Une agglomération de quatre énormes roches arrondies domine la ferme et se découvre dans l’axe d’une ruelle entre deux bâtisses.
Un roc oblong gît sur le talus du chemin s’ouvrant sur la cour, il est inscrit comme mégalithe et effectivement sa forme évoque immanquablement un menhir.
Aucun attribut classique des statues-menhir ne se laisse découvrir, mais je sais que plus haut, à mi-chemin entre La Mongarié et le Secun-haut, se trouve une statue-menhir bel et bien gravée, elle aussi couchée sur le bord du sentier.
Les hommes du néolithique final et du début de l’âge du cuivre se sédentarisaient et en quelque sorte devenaient les premiers agriculteurs du Sidobre.
Je m’avance maintenant sur la piste forestière orientée vers le nord, très vite, après les derniers prés, la forêt couvre tous les versants.
La connexion GSM devient impossible, je ressens très vite l’isolement et l’appel de l’exploration, » l’appel de la forêt », « the call of the wild » pour reprendre le titre du roman de Jack London.
Je rejoins la boucle serrée de la piste à la cote 575 m, en suivant le talus nappé de bruyères en fleur qui contraste avec l’éblouissement du sable de granit.
Un panneau annonce: « chasse gardée ».
Ca tombe bien : je suis chasseur de rochers, j’arme mon Canon EOS et plonge « into the wild ».
Je me remémore l’histoire de la découverte du rocher que je suis venu redécouvrir.
Selon le témoignage d’un habitant de La Mongarié, les chasseurs avançaient une explication incroyable sur l’origine d’un roc découvert lors d’une traque au sanglier.
Un roc étrange, couvert de triangles qui ne pouvait avoir été sculpté que par l’homme.
Après une rapide enquête, je remontais jusqu’à la société de chasse qui m’indiquait approximativement la situation du roc prodigieux.
Un agent de l’ONF se avait repéré ce roc très particulier qui selon les plans cadastraux servait de repère à la délimitation de parcelles partant en éventail.
Il m’accompagna sur le site alors que mes recherches étaient restées vaines.
Il sortit sa boussole et son fil d’Ariane, et nous descendîmes droit vers le nord comme des plongeurs en apnée le long d’un filin…25m… 50m.
Je constate une fois de plus à quel point il est difficile d’estimer les distances en forêt, d’autant plus dans une pente raide…75m…100m ! Là, hésitation, on ne remarque pas de roc particulier, juste de classiques roches granitiques ayant glissé dans la pente.
C’est en se retournant dos à la vallée que l’on découvre la roche, stupéfiant!
Elle est recouverte de terre et seule sa paroi verticale de 2m50 est visible.
Elle est couverte de triangles en relief d’une vingtaine de cm en moyenne, 5m ² de frises régulières.
Quelques années plus tard me voici à nouveau sur le site, mais cette fois sans fil d’Ariane.
Au bout d’une heure de recherche et me rappelant de mes échecs précédents à la retrouver, je m’apprête à abandonner lorsque je reconnais un empilement de blocs.
Ils son comme des livres sur une étagère, appuyés les uns contre les autres et luttent contre la gravité qui veut les précipiter au fond de la vallée.
Accrochés en équilibre sur un long socle incliné, deux blocs forment abri en accent circonflexe, bienvenu en cas d’orage, accessible par l’ouest, il est abrupte sur la face est, le dénivelé est de plus de 2,50 m.
Ma curiosité me pousse à continuer la descente, jusqu’à ce que je débouche sur un replat marqué par une murette de blocs bordant un sentier à flanc de montagne.
De nombreux amoncellements de roches issues de l’épierrage ancien des champs se remarquent, bien agencés sur de grosses roches ils semblent borner les parcelles.
Pas loin de là, un roc attire mon regard : sorte de tête de chien géante, qui a du effrayer plus d’un sanglier.
Je remarque aussi un roc pyramidal dont l’originalité est une excroissance (exolithe).
Et c’est en rebroussant chemin qu’au hasard des couloirs d’arbres, une forme inhabituelle attire mon regard : des pavés semblent collé à un roc, c’est lui, enfin!
Vu de ce côté ouest, il semble couvert de pavés et, c’est en le regardant de face et du côté est que je découvre ses triangles.Je comprends alors la stupéfaction des chasseurs lors de la découverte.
Jean-Luc, un ami passionné du Sidobre, l’a nommé: « la râpe du Diable », nom curieux mais qui évoque très bien ce que l’on ressent : la rudesse de la roche, et l’isolement dans la pénombre de ces bois.
Le symbole ésotérique que représentent les triangles enveloppe la roche d’un mystère encore plus grand.
Je mesure le roc et en y regardant de plus près, je constate que les triangles sont inégaux allant de 10 à 20 cm.
La surprise passée, je reconnais les indices d’érosion différentielle d’une aplite de pegmatite (produit de l’érosion par la tranche d’un filon).
Ces érosions différentielles entre un granit plus tendre que ne le sont les filons donnent de nombreuses micro-formes typiques des milieux granitiques: failles, lignes en bourrelets (cordes), carrelets, et là, des triangles.
Nous observons ici sous un angle particulier, les méga-cristaux de pegmatite.
Comme une fermeture éclair, le filon s’est ouvert en deux, le bloc qui faisait face à celui- ci a du continuer sa lente reptation vers le bas ou alors il est recouvert de terre, seul un examen du site plus poussé pourrait donner la solution à ce mystère.
Je comprends pourquoi la « râpe du Diable » reste cachée vu du Sud : de la terre ainsi qu’un bosquet d’arbres la camouflent totalement.De nombreux chercheurs se perdront à nouveau « into the wild » à sa recherche…